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pauvres victimes de quelque touchante allocution ? Non. Avant peu, la procession eût été trop longue, et il y eut une apparence d’émeute.

Or donc, à mesure qu’un chien approchait avec cette confiance qui caractérise la race, un bipède à figure sinistre saisissait le quadrupède curieux, le lançait dans la charrette, et le chien avait vécu.

Après celui-là, un autre ; après ceux-là, d’autres, et tout cela sans bruit, sans efforts, sans cris, et cependant, chaque saut, chaque chien de moins pour la vie ; — car une toile épaisse cachait les convulsions de ces victimes de l’amour et de la police ; un individu blotti dans la voiture les étranglait à leur arrivée par manière de salutation.

Comme on voit, jusque-là tout allait bien, excepté pour les chiens, quand un incident vint troubler l’exécution de cette nouvelle gentillesse d’ordre public.

Dans un moment de disette canine, où la quantité des vivants diminuait en raison de celle des morts, l’homme qui était chargé de les appréhender au corps pour les lancer dans l’éternité s’avisa d’aller prendre comme délinquant un chien paisible, qui, assis sur le seuil d’une boutique, regardait aller les passants.

Entendant faire violence à Azor, sa maîtresse court voir ce qu’on lui veut ; le mari court après sa femme, l’enfant court après son papa ; les voisins arrivent, les passants s’arrêtent, on crie, on jure, on pleure, on s’informe, et bientôt la voiture renversée fait rouler sur le pavé seize cadavres de chiens !

Une pareille cruauté criait vengeance. Deux agents de police pour les seize meurtres parurent une compensation suffisante, faute de mieux, et on les chercha. Mais ils s’étaient évadés.

Alors, tous les marteaux mis à contribution, la guillotine roulante fut brisée, et un superbe feu de joie célébra ce grand crime. Malheureusement, il ne rendit la vie à aucun chien, pas même à l’infortuné Azor, que sa maîtresse emporta lamentablement dans ses bras, voulant faire empailler sans doute ce triste monument de férocité préfectorale.

30 juin 1831.
XXIII.
LOGIQUE ASSOMMANTE.

Il est serviteur de police depuis plusieurs règnes, mais agent intelligent, rusé, sournois, perfectionnant le métier ; c’est dire que, héros d’une profession ignoble, il a su se rendre plus ignoble qu’elle encore.

Aussi, son imagination fertile tient-elle en continuel émoi la sécurité du maître. Tout est-il tranquille, il invente une conspiration, un complot, quelque tentative ténébreuse ; puis, à lui tout seul, il court détruire vaillamment cet épouvantail que son astuce a fait surgir. Y a-t-il un rassemblement, pour peu qu’il s’en mêle, une simple querelle particulière devient une émeute. Enfin, il trouverait à exploiter ses talents préventifs et répressifs jusque sur la calotte d’un car-