Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/370

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Un écheveau brouillé par un chat, tous les hiéroglyphes de la dynastie des Pharaons, ou les feux d’artifice de vingt réjouissances.

À cette vue, l’imprimerie se réjouit peu. Les compositeurs se frappent la poitrine, les presses gémissent, les protes s’arrachent les cheveux, les apprentis perdent la tête. Les plus intelligents abordent les épreuves et reconnaissent du persan, d’autres l’écriture madécasse, quelques-uns les caractères symboliques de Wichnou. On travaille à tout hasard et à la grâce de Dieu.

Le lendemain, M. de Balzac renvoie deux feuilles de pur chinois. Le délai n’est plus que de quinze jours. Un prote généreux offre de se brûler la cervelle.

Deux nouvelles feuilles arrivent très-lisiblement écrites en siamois. Deux ouvriers y perdent la vue et le peu de langue qu’ils savaient.

Les épreuves sont ainsi renvoyées sept fois de suite. On commence à reconnaître quelques symptômes d’excellent français ; on signale même quelque liaison dans les phrases. Mais le terme arrive, l’ouvrage ne paraîtra pas. La désolation est au comble, et c’est ici que le travail se complique d’un admirable concours de calamités.

Au plus fort de la hâte, le malheureux qui portait jour et nuit des épreuves à M. de Balzac est arrêté le soir par des bandits qui les lui volent. M. de Balzac avait eu la présence d’esprit de s’aller loger à Chaillot, quelque temps auparavant. Ce malheureux crie et se débat, les malfaiteurs prennent la fuite. On rattrape une épreuve à Neuilly, la seconde dans un champ de betteraves, et une troisième qui descendait à Rouen, tout le long de la rivière. On assure qu’ils ne les ont jetées que faute de les pouvoir lire. À quelque chose malheur est bon.

Le travail est interrompu. Une nuit se perd. Les ouvriers se croisent les bras. Les pressiers s’en battent les flancs. Le prote monte à sa tour : « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Je vois un porteur qui verdoie et une épreuve qui flamboie. »

Les épreuves arrivent ; mais la nuit est passée. Le temps est proche. Il y a des pleurs et des grincements de dents. Pourtant le prote prend courage et les ouvriers le mors aux dents. L’imprimerie s’emporte ; toutes les mains trottent comme des pattes de lièvre ; les compositeurs comme des navettes, les pressiers comme des rouages, les metteurs en pages comme des ressorts. Les apprentis piétinent ; les correcteurs tremblotent ; l’encadreur a des mouvements épileptiques, et le prote des tics fiévreux. C’est une seule mécanique, une machine électrique ou une cage de fous.

L’ouvrage avance ; mais tout d’un coup douze ouvriers disparaissent. Un tonnerre éclate. Le plancher s’effondre, et les poêles, les casiers, les charpentes enroulées dans un galop furieux, suivent les malheureux dans l’abîme, sous une pluie d’aérolithes inconnus. — Est-ce une mine, un incendie, une trappe, un volcan, le feu du ciel ou le jugement dernier ? On recueille les blessés descendus et non montés en diligence dans la cour des Messageries. On a quelque peine à prouver aux autres qu’ils se portent bien. On reconnaît la grêle de Gomorrhe et le feu du ciel pour des A, des B, des P, des Q, et autres innocentes lettres de l’alphabet. Le calme renaît. On repense à César Birotteau. Plus d’épreuves, plus