Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/385

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— C’est madame Nourrisson.

— La tante de Vautrin ?

— En chair et en os, — en chair surtout. Voilà la formidable vieille qui est allée, un matin, trouver le fils du baron Hulot, et qui lui a proposé, moyennant cinquante mille francs, de le débarrasser de la petite madame Marneffe. — Vous avez dû lire cette scène terrible dans la première partie des Parents pauvres ?

— Elle n’est pas seule, je crois ?

— Elle est avec son mari.

— Comment ! il s’est rencontré quelqu’un qui a épousé madame Nourrisson ?

— Vous ignorez sans doute qu’elle est cinq ou six fois millionnaire ? Règle générale : là où il pleut des millions, il pousse des épouseurs. Elle s’appelle aujourd’hui madame Gaudissart, née Vautrin.

— Quoi ! l’illustre Gaudissart a épousé cette horrible vieille ?

— Régulièrement, je vous prie de le croire, par-devant M. le maire du deuxième arrondissement.

— À propos des Parents pauvres, Wenceslas Steinbock fait-il bon ménage avec sa jeune femme ?

— Un ménage excellent ; c’est le fils Hulot qui s’est dérangé à son tour. Madame Hulot, qui est une demoiselle Crevel, occupe cette loge de face avec le couple Steinbock. Hulot leur a dit qu’il les rejoindrait ; sans doute il a prétexté un travail urgent pour une cause importante, car il est une des lumières du Palais, ainsi qu’on est convenu d’appeler les avocats qui font payer leurs plaidoiries plus de cinq mille francs pièce. La vérité est qu’il entretient des accointances avec les coulisses de l’Opéra. Hulot n’est pas pour rien le fils de son père !

— Sa femme est-elle jalouse ?

— Comme une tigresse ! Sa belle-mère, la vertueuse Adeline, la veuve du baron, cherche à la consoler et à la calmer ; à quoi elle ne réussit guère. On cause d’une séparation prochaine. — Je voudrais vous montrer Palma, Werbrust, Gobseck et Gigonnet, ce brelan carré d’usuriers, d’égorgeurs et d’assassins ; par malheur, la chose n’est pas possible. Gobseck est seul dans la salle en ce moment, perdu dans un coin obscur du parterre.

— Et les trois autres ?

— Ces quatre gredins poussent l’avarice à ce point qu’ils se sont cotisés pour acheter un billet de quarante sous. Ils doivent se repasser leurs contremarques et jouir chacun d’un quart du spectacle. Ou je me trompe fort, ou ce vieux scélérat de Gobseck fera faillite à ses associés et ne quittera la place qu’avec le dernier spectateur.

M. de Rastignac s’interrompit et fit un petit signe affectueux à un musicien de l’orchestre, un vieillard à tête blanche, lequel accordait sa contrebasse.

— Serait-ce le cousin Pons ? demandai-je.

— Vous oubliez deux choses, à savoir : que le cousin Pons est mort, et que, de son vivant, il s’habillait avec un spencer de velours vert, deux faits essentiels relatés dans la seconde partie des Parents pauvres. Mais, si Oreste n’est plus, Pylade vit encore, Damon a survécu à Pithias. C’est le père Schmucke que vous avez