Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/79

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M. Félix s’en va donc à Paris, où il arrive, à peu près dans le même temps que Louis XVIII quittait sa capitale d’un jour ; le 20 mars était proche. Félix suit le roi jusqu’à Gand ; de Gand, chargé d’une mission importante, il va à Saumur, de Saumur à Chinon, de Chinon à Nueil, à Clochegourde. « Est-ce possible ! s’écria madame de Mortsauf le visage stupéfié, et clouée sur son fauteuil ! » — « Madame de Mortsauf disait des poésies suggérées par la solitude, sans savoir qu’il y eût le moindre vestige d’amour, ni de poésie orientalement suave, comme une rose du Frangistan. » Si vous savez, madame, ce que c’est qu’une rose du Frangistan, ayez la bonté de me le dire. — « À huit heures, après le dîner, la cloche sonna deux coups, tous les hôtes de la maison vinrent, Madeleine récita une émouvante prière. Quand Félix fut couché, il fut travaillé par des idées folles produites par une tourbillonnante agitation des sens. Le lendemain, il fallut partir ; madame de Mortsauf appuya sa tête alanguie sur l’épaule de Félix, et Félix retourna à Paris. »

Cette fois, Louis XVIII était pour tout de bon sur son trône. Félix fut nommé maître des requêtes et secrétaire du roi ; il sentit les nutations d’une vieille expérience ; dans cette belle position, Félix fit la connaissance de personnes influentes ; il connut, entre autres personnes influentes, les deux exécrables filles du père Goriot ; mais, au milieu de toutes ces belles connaissances, notre jeune homme resta si chaste, que le roi l’appelait souvent mademoiselle Félix de Vandenesse, de sa belle voix d’argent.

Remarquez la galanterie de M. Félix de Vandenesse ! Il ne donne qu’une voix d’argent au roi lui-même, pendant qu’il gratifie madame de Mortsauf d’une voix d’or !

Six mois après, le roi donne un congé à Félix, et ce jour-là il lui dit de sa voix d’argent : « Amusez-vous bien à Clochegourde, monsieur Caton ! »

Félix vola comme une hirondelle en Touraine. Il paraît que les hirondelles volent plus vite en Touraine qu’à Paris. Cette fois, il était très-heureux, non-seulement d’être un peu moins niais, mais encore dans l’appareil d’un jeune homme élégant. En effet, « il était en chasseur ; il portait une veste verte à boutons blancs rougis, un pantalon à raies, des guêtres de cuir et des souliers. Bien plus, les halliers l’avaient si mal arrangé, que M. de Mortsauf fut obligé de lui prêter du linge ! » Que dites-vous de cet appareil, madame, et de cette élégance ? Boutons blancs rougis, diable ! pantalon à raies, la peste ! guêtres de cuir, voyez-vous ! et des souliers ! des souliers ! et avec ces souliers, avec ces guêtres, ce pantalon à raies, cette veste verte et ces fameux boutons blancs rougis, pas même une chemise de rechange ! M. Félix est obligé d’emprunter une chemise à M. de Mortsauf. Voilà donc l’appareil, par excellence, d’un jeune homme élégant !

N’importe ! malgré ses guêtres, ou plutôt à cause de ses guêtres, M. Félix de Vandenesse fut reçu à merveille par madame de Mortsauf, qui ne reconnut pas la chemise de son mari. Les façons de la fortune (M. de Vandenesse veut dire : la façon), ma croissance achevée, une physionomie jeune qui recevait un lustre inexplicable de la placidité d’une âme magnétiquement unie à l’âme pure qui, de Clochegourde, rayonnait sur moi ; » toutes ces choses le rendaient méconnaissable. D’ailleurs, n’est-il pas l’espoir inavoué de cette femme adorable ? Aussi quand elle