Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/84

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sommes faits ; elle était la maîtresse du corps ; madame de Mortsauf était l’épouse de l’âme. » Ajoutez qu’en lady Arabelle la bête était sublime !

Pendant que M. Félix de Vandenesse buvait ainsi l’alcool de l’amour dans une coupe curieusement ciselée, que devenait le Lys dans la vallée ? « Des orages, de plus en plus troubles et chargés de gravier, déracinaient, par leurs vagues âpres, les espérances le plus profondément plantées dans son cœur. » Horriblement inquiet, M. de Vandenesse déclara à la maîtresse de son corps qu’il voulait aller en Touraine, pour savoir des nouvelles de la maîtresse de son cœur. « Arabelle ne s’y opposa point ; mais elle parla naturellement de m’accompagner. » Il part, il arrive à Clochegourde. Madame de Mortsauf entendit « les bonds prodigieux de l’hirondelle du désert ; et, quand je l’arrêtai net au coin de la terrasse, elle me dit : « Ah ! vous voilà. » Ces mots me foudroyèrent. » Voilà comment M. Félix fut arrêté net par madame de Mortsauf.

Vous rappelez-vous, madame, le retour de J.-J. Rousseau auprès de madame de Warens, quand elle lui dit sans s’émouvoir : « Ah ! te voilà, petit ! » C’est la même scène, c’est le même mot ; vous dirai-je plus ? c’est la même pensée ; mais quelle différence, grand Dieu !

Comment donc n’avez-vous pas vu que toute cette histoire du Lys dans la vallée, ce sont les premières pages des Confessions gaspillées, transformées, refaites, à l’aide d’une madame de Warens qui ne se livre pas, et d’un petit Jean-Jacques Rousseau, devenu vicomte et Parisien ?

Mais ne comparons pas les Confessions, ce chef-d’œuvre, au Lys dans la vallée, cette œuvre informe, Jean-Jacques Rousseau et M. Balzac !

« L’ouragan de l’infidélité, semblable à ces crues de la Loire qui ensablent à jamais une terre, avait passé dans l’âme de madame de Mortsauf, en faisant un désert là où verdoyaient d’opulentes prairies. Là où elle n’avait vu qu’un enfant. » M. Balzac fait toujours la même phrase sous le même noyer.

« Je fis entrer mon cheval par la petite porte : il se coucha à mon ordre (c’était un cheval savant), et la comtesse s’écria : « Le bel animal ! »

Voyez-vous cet amant, qui n’a rien de plus pressé que de montrer à sa maîtresse les petits talents de son cheval !

Ce qui fait faire à notre héros la réflexion suivante : « Dans cette épouvantable vallée, où doivent tenir des millions de peuples devenus poussière, je serai moins aplati que je ne le fus devant cette forme blanche (madame de Mortsauf), montant comme monte dans les rues d’une ville quelque inflexible inondation. — Didon chrétienne. » (Avouez que Didon et inondation ne vont guère ensemble au premier abord ; mais, en y réfléchissant, on trouve que M. Balzac est très-conséquent avec lui-même. Rappelez-vous en effet que madame de Mortsauf attire à elle les moindres parcelles humides ; et voilà pourquoi M. Balzac la compare à une inondation.)

Alors M. de Mortsauf, voyant que sa femme s’enfuit loin de Félix, s’empare de lui, et se met lui raconter sa maladie : « Les sécrétions s’altèrent, la digestion se fait capricieuse, la désorganisation arrive à son comble, comme si quelque poison se mêlait au bol alimentaire ; la muqueuse s’épaissit ; l’induration de la vulve du pylore s’opère, et il s’y forme un squirre dont il faut mourir. » Telle est la con-