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Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/109

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procurerait de l’argent. Il devint soucieux en voyant les savanes du monde qui se déroulaient à ses yeux à la fois vides et pleines ; chacun le laissa seul dans la salle à manger quand le dîner fut fini.

— Vous avez donc vu ma fille ? lui dit Goriot d’une voix émue.

Réveillé de sa méditation par le bonhomme, Eugène lui prit la main, et le contemplant avec une sorte d’attendrissement :

— Vous êtes un brave et digne homme, répondit-il. Nous causerons de vos filles plus tard. Il se leva sans vouloir écouter le père Goriot, et se retira dans sa chambre, où il écrivit à sa mère la lettre suivante :

« Ma chère mère, vois si tu n’as pas une troisième mamelle à t’ouvrir pour moi. Je suis dans une situation à faire promptement fortune. J’ai besoin de douze cents francs, et il me les faut à tout prix. Ne dis rien de ma demande à mon père, il s’y opposerait peut-être, et si je n’avais pas cet argent, je serais en proie à un désespoir qui me conduirait à me brûler la cervelle. Je t’expliquerai mes motifs aussitôt que je te verrai, car il faudrait t’écrire des volumes pour te faire comprendre la situation dans laquelle je suis. Je n’ai pas joué, ma bonne mère, je ne dois rien ; mais si tu tiens à me conserver la vie que tu m’as donnée, il faut me trouver cette somme. Enfin, je vais chez la vicomtesse de Beauséant, qui m’a pris sous sa protection. Je dois aller dans le monde, et n’ai pas un sou pour avoir des gants propres. Je saurai ne manger