Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/162

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— Madame, lui dit Eugène, j’aurai le plaisir de vous aller voir avant le bal de la duchesse de Carigliano.

Puisqui matame fous encache, dit le baron, épais Alsacien dont la figure ronde annonçait une dangereuse finesse, fous êtes sir d’édre pien ressi.

— Mes affaires sont en bon train, car elle ne s’est pas bien effarouchée en m’entendant lui dire : « M’aimerez-vous bien ? » Le mors est mis à ma bête, sautons dessus et gouvernons-la, se dit Eugène en allant saluer madame de Beauséant qui se levait et se retirait avec d’Ajuda.

Le pauvre étudiant ne savait pas que la baronne était distraite, et attendait de de Marsay une de ces lettres décisives qui déchirent l’âme. Tout heureux de son faux succès, Eugène accompagna la vicomtesse jusqu’au péristyle, où chacun attend sa voiture.

— Votre cousin ne se ressemble plus à lui-même, dit le Portugais en riant à la vicomtesse quand Eugène les eut quittés. Il va faire sauter la banque. Il est souple comme une anguille, et je crois qu’il ira loin. Vous seule avez pu lui trier sur le volet une femme au moment où il faut la consoler.

— Mais, dit madame de Beauséant, il faut savoir si elle aime encore celui qui l’abandonne.

L’étudiant revint à pied du Théâtre-Italien à la rue Neuve-Sainte-Geneviève, en faisant les plus doux projets. Il avait bien remarqué l’attention avec laquelle madame de Restaud l’avait examiné, soit dans la loge de la vicomtesse, soit dans celle de madame de Nucingen, et il présuma que la porte de la comtesse ne lui serait plus fermée. Ainsi déjà quatre relations majeures, car il comptait