Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/180

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— Allons, venez, dit-elle à Eugène, qui crut rêver en se trouvant dans le coupé de monsieur de Nucingen, à côté de cette femme.

— Au Palais-Royal, dit-elle au cocher, près du Théâtre-Français.

En route, elle parut agitée, et refusa de répondre aux mille interrogations d’Eugène, qui ne savait que penser de cette résistance muette, compacte, obtuse.

— En un moment elle m’échappe, se disait-il.

Quand la voiture s’arrêta, la baronne regarda l’étudiant d’un air qui imposa silence à ses folles paroles ; car il s’était emporté.

— Vous m’aimez bien ? dit-elle.

— Oui, répondit-il en cachant l’inquiétude qui le saisissait.

— Vous ne penserez rien de mal sur moi, quoi que je puisse vous demander ?

— Non.

— Êtes-vous disposé à m’obéir ?

— Aveuglément.

— Êtes-vous allé quelquefois au jeu ? dit-elle d’une voix tremblante.

— Jamais.

— Ah ! je respire. Vous aurez du bonheur. Voici ma bourse, dit-elle. Prenez donc ! il y a cent francs, c’est tout ce que possède cette femme si heureuse. Montez dans une maison de jeu, je ne sais où elles sont, mais je sais qu’il y en a au Palais-Royal. Risquez les cent francs à un jeu qu’on nomme la roulette, et perdez tout, ou rapportez-moi six mille francs. Je vous dirai mes chagrins à votre retour.