Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/216

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nière de relever l’épée et de vous piquer le front. Je vous montrerai cette botte-là, car elle est furieusement utile.

Rastignac écoutait d’un air stupide, et ne pouvait rien répondre. En ce moment le père Goriot, Bianchon et quelques autres pensionnaires arrivèrent.

— Voilà comme je vous voulais, lui dit Vautrin. Vous savez ce que vous faites. Bien, mon petit aiglon ! vous gouvernerez les hommes ; vous êtes fort, carré, poilu ; vous avez mon estime.

Il voulut lui prendre la main. Rastignac retira vivement la sienne, et tomba sur une chaise en pâlissant ; il croyait voir une mare de sang devant lui.

— Ah ! nous avons encore quelques petits langes tachés de vertu, dit Vautrin à voix basse. Papa Doliban a trois millions, je sais sa fortune. La dot vous rendra blanc comme une robe de mariée, et à vos propres yeux.

Rastignac n’hésita plus. Il résolut d’aller prévenir pendant la soirée MM. Taillefer père et fils. En ce moment, Vautrin l’ayant quitté, le père Goriot lui dit à l’oreille :

— Vous êtes triste, mon enfant ! je vais vous égayer, moi. Venez !

Et le vieux vermicellier allumait son rat de cave à une des lampes. Eugène le suivit tout ému de curiosité.

— Entrons chez vous, dit le bonhomme, qui avait demandé la clef de l’étudiant à Sylvie. Vous avez cru ce matin qu’elle ne vous aimait pas, hein ! reprit-il. Elle vous a renvoyé de force, et vous vous en êtes allé fâché, désespéré. Nigaudinos ! Elle m’attendait. Comprenez-vous ? Nous devions aller achever d’arranger un bijou d’appartement dans lequel vous irez demeurer d’ici à trois jours. Ne me