Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/226

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son épée. En héritant de son frère, Victorine aura quinze petits mille francs de rente. J’ai déjà pris des renseignements, et je sais que la succession de la mère monte à plus de trois cent mille…

Eugène entendit ces paroles sans pouvoir y répondre ; il sentait sa langue collée à son palais, et se trouvait en proie à une somnolence invincible ; il ne voyait déjà plus la table et les figures des convives qu’à travers un brouillard lumineux. Bientôt le bruit s’apaisa, les pensionnaires s’en allèrent un à un. Puis, quand il ne resta plus que madame Vauquer, madame Couture, mademoiselle Victorine, Vautrin et le père Goriot, Rastignac aperçut, comme s’il eût rêvé, madame Vauquer occupée à prendre les bouteilles pour en vider les restes de manière à en faire des bouteilles pleines.

— Ah ! sont-ils fous, sont-ils jeunes ! disait la veuve.

Ce fut la dernière phrase que put comprendre Eugène.

— Il n’y a que monsieur Vautrin pour faire de ces farces-là, dit Sylvie. Allons, voilà Christophe qui ronfle comme une toupie.

— Adieu, maman, dit Vautrin. Je vais au boulevard admirer M. Marty dans Le Mont Sauvage, une grande pièce tirée du Solitaire. Si vous voulez, je vous y mène ainsi que ces dames.

— Je vous remercie, dit madame Couture.

— Comment, ma voisine ! s’écria madame Vauquer, vous refusez de voir une pièce prise dans le Solitaire, un ouvrage fait par Atala de Chateaubriand, et que nous aimions tant à lire, qui est si joli que nous pleurions comme des Madeleines d’Élodie sous les tieuilles cet été