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Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/309

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— Eh quoi ! vous n’êtes pas habillé ? dit-elle.

— Mais, madame, votre père…

— Encore mon père ! s’écria-t-elle en l’interrompant. Mais vous ne m’apprendrez pas ce que je dois à mon père. Je connais mon père depuis longtemps. Pas un mot, Eugène. Je ne vous écouterai que quand vous aurez fait votre toilette. Thérèse a tout préparé chez vous ; ma voiture est prête, prenez-la ; revenez. Nous causerons de mon père en allant au bal. Il faut partir de bonne heure ; si nous sommes pris dans la file des voitures, nous serons bien heureux de faire notre entrée à onze heures.

— Madame…

— Allez ! pas un mot, dit-elle courant dans son boudoir pour y prendre un collier.

— Mais allez donc, monsieur Eugène ! vous fâcherez madame, dit Thérèse en poussant le jeune homme, épouvanté de cet élégant parricide.

Il alla s’habiller en faisant les plus tristes, les plus décourageantes réflexions. Il voyait le monde comme un océan de boue dans lequel un homme se plongeait jusqu’au cou, s’il y trempait le pied.

— Il ne s’y commet que des crimes mesquins ! se dit-il. Vautrin est plus grand.

Il avait vu les trois grandes expressions de la Société : l’Obéissance, la Lutte et la Révolte ; la Famille, le Monde et Vautrin. Et il n’osait prendre parti. L’Obéissance était ennuyeuse, la Révolte impossible, et la Lutte incertaine. Sa pensée le reporta au sein de sa famille. Il se souvint des pures émotions de cette vie calme, il se rappela les jours passés au milieu des êtres dont il était chéri. En se