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Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/332

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je dis ? Ne m’avez-vous pas averti que Delphine est là ? C’est la meilleure des deux… Vous êtes mon fils, Eugène, vous ! aimez-la, soyez un père pour elle. L’autre est bien malheureuse. Et leurs fortunes ! Ah ! mon Dieu ! J’expire, je souffre un peu trop ! Coupez-moi la tête, laissez-moi seulement le cœur.

— Christophe, allez chercher Bianchon, s’écria Eugène épouvanté du caractère que prenaient les plaintes et les cris du vieillard, et ramenez-moi un cabriolet. — Je vais aller chercher vos filles, mon bon père Goriot, je vous les ramènerai.

— De force, de force ! Demandez la garde, la ligne, tout ! tout ! dit-il en jetant à Eugène un dernier regard où brilla la raison. Dites au gouvernement, au procureur du roi, qu’on me les amène, je le veux !

— Mais vous les avez maudites.

— Qui est-ce qui a dit cela ? répondit le vieillard stupéfait. Vous savez bien que je les aime, je les adore ! Je suis guéri si je les vois… Allez, mon bon voisin, mon cher enfant, allez, vous êtes bon, vous ; je voudrais vous remercier, mais je n’ai rien à vous donner que les bénédictions d’un mourant. Ah ! je voudrais au moins voir Delphine pour lui dire de m’acquitter envers vous. Si l’autre ne peut pas, amenez-moi celle-là. Dites-lui que vous ne l’aimerez plus si elle ne veut pas venir. Elle vous aime tant qu’elle viendra. A boire ! les entrailles me brûlent ! Mettez-moi quelque chose sur la tête. La main de mes filles, ça me sauverait, je le sens… Mon Dieu ! qui refera leur fortune si je m’en vais ? Je veux aller à Odessa pour elles, à Odessa, y faire des pâtes.