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Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/35

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aucun bien à leurs amis ou à leurs proches, parce qu’ils le doivent ; tandis qu’en rendant service à des inconnus, ils en recueillent un gain d’amour-propre : plus le cercle de leurs affections est près d’eux, moins ils aiment ; plus il s’étend, plus serviables ils sont. Madame Vauquer tenait sans doute des ces deux natures, essentiellement mesquines, fausses, exécrables.

— Si j’avais été ici, lui disait alors Vautrin, ce malheur ne vous serait pas arrivé ! je vous aurais joliment dévisagé cette farceuse-là. Je connais leurs frimousses.

Comme tous les esprits rétrécis, madame Vauquer, avait l’habitude de ne pas sortir du cercle des événements et de ne pas juger leurs causes. Elle aimait à s’en prendre à autrui des ses propres fautes. Quand cette perte eut lieu, elle considéra l’honnête vermicellier comme le principe de son infortune, et commença dès lors, disait-elle, à se dégriser sur son compte. Lorsqu’elle eut reconnu l’inutilité de ses agaceries et de ses frais de représentation, elle ne tarda pas à en deviner la raison. Elle s’aperçut alors que son pensionnaire avait déjà selon son expression, ses allures. Enfin, il lui fut prouvé que son espoir si mignonnement caressé reposait sur une base chimérique, et qu’elle ne tirerait jamais rien de cet homme-là, suivant le mot énergique de la comtesse, qui paraissait une connaisseuse. Elle alla nécessairement plus loin en aversion qu’elle n’était allée dans son amitié. Sa haine ne fut pas en raison de son amour, mais des espérances trompées. Si le cœur humain trouve des repos en montant les hauteurs de l’affection, il s’arrête rarement sur la pente rapide des sentiments haineux. Mais M. Goriot était pension-