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Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/46

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sorte de beauté nerveuse à laquelle les femmes se laissent prendre volontiers ? Ces idées l’assaillirent au milieu des champs, pendant les promenades que jadis il faisait gaiement avec ses sœurs, qui le trouvèrent bien changé. Sa tante, madame de Marcillac, autrefois présentée à la cour, y avait connu les sommités aristocratiques. Tout à coup le jeune ambitieux reconnut, dans les souvenirs dont sa tante l’avait si souvent bercé, les éléments de plusieurs conquêtes sociales, au moins aussi importantes que celles qu’il entreprenait à l’École de droit ; il la questionna sur les liens de parenté qui pouvaient encore se renouer. Après avoir secoué les branches de l’arbre généalogique, la vieille dame estima que, de toutes les personnes qui pouvaient servir son neveu parmi la gent égoïste des parents riches, madame la vicomtesse de Beauséant serait la moins récalcitrante. Elle écrivit à cette jeune femme une lettre de l’ancien style, et la remit à Eugène, en lui disant que, s’il réussissait auprès de la vicomtesse, elle lui ferait retrouver ses autres parents. Quelques jours après son arrivée, Rastignac envoya la lettre de sa tante à madame de Beauséant. La vicomtesse répondit par une invitation de bal pour le lendemain.

Telle était la situation générale de la pension bourgeoise à la fin du mois de novembre 1819. Quelques jours plus tard, Eugène, après être allé au bal de madame de Beauséant, rentra vers deux heures dans la nuit. Afin de regagner le temps perdu, le courageux étudiant s’était promis, en dansant, de travailler jusqu’au matin. Il allait passer la nuit pour la première fois au milieu de ce silencieux quartier, car il s’était mis sous le charme d’une