Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/50

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qu’il se croyait auprès de madame de Restaud, quand un soupir semblable à un Han ! de saint Joseph troubla le silence de la nuit, retentit au cœur du jeune homme de manière à le lui faire prendre pour le râle d’un moribond. Il ouvrit doucement sa porte et, quand il fut dans le corridor, il aperçut une ligne de lumière tracée au bas de la porte du père Goriot. Eugène craignit que son voisin ne se trouvât indisposé, il approcha son œil de la serrure, regarda dans la chambre et vit le vieillard occupé de travaux qui lui parurent trop criminels pour qu’il ne crût pas rendre service à la société en examinant bien ce que machinait nuitamment le soi-disant vermicellier. Le père Goriot, qui sans doute avait attaché sur la barre d’une table renversée un plat et une soupière en vermeil, tournait une espèce de câble autour de ces objets richement sculptés, en les serrant avec une si grande force, qu’il les tordait vraisemblablement pour les convertir en lingots.

— Peste ! quel homme ! se dit Rastignac en voyant les bras nerveux du vieillard qui, à l’aide de cette corde, pétrissait sans bruit l’argent doré comme une pâte. Mais serait-ce donc un voleur ou un recéleur qui, pour se livrer plus sûrement à son commerce, affectait la bêtise, l’impuissance, et vivrait en mendiant ? se dit Eugène en se relevant un moment.

L’étudiant appliqua de nouveau son œil à la serrure. Le père Goriot, qui avait déroulé son câble, prit la masse d’argent, la mit sur la table après avoir étendu sa couverture, et l’y roula pour l’arrondir en barre, opération dont il s’acquitta avec une facilité merveilleuse.

— Il serait donc aussi fort que l’était Auguste, roi de