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Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/61

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cette divine comtesse, sur les neuf heures, à pied, rue des Grès. Oh ! le cœur m’a battu, je me figurais…

— Qu’elle venait ici, dit Vautrin en jetant un regard profond à l’étudiant. Elle allait sans doute chez le papa Gobseck, un usurier. Si jamais vous fouillez des cœurs de femmes à Paris, vous y trouverez l’usurier avant l’amant. Votre comtesse se nomme Anastasie de Restaud, et demeure rue du Helder.

A ce nom, l’étudiant regarda fixement Vautrin. Le père Goriot leva brusquement la tête, il jeta sur les deux interlocuteurs un regard lumineux et plein d’inquiétude qui surprit les pensionnaires.

— Christophe arrivera trop tard, elle y sera donc allée ! s’écria douloureusement Goriot.

— J’ai deviné, dit Vautrin en se penchant à l’oreille de madame Vauquer.

Goriot mangeait machinalement et sans savoir ce qu’il mangeait. Jamais il n’avait semblé plus stupide et plus absorbé qu’il ne l’était en ce moment.

— Qui diable, monsieur Vautrin, a pu vous dire son nom ?

— Ah ! ah ! voilà, répondit Vautrin. Le père Goriot le savait bien, lui ! pourquoi ne le saurais-je pas ?

— M. Goriot ? s’écria l’étudiant.

— Quoi ! dit le pauvre vieillard. Elle était donc bien belle hier ?

— Qui ?

— Madame de Restaud.

— Voyez-vous le vieux grigou, dit madame Vauquer à Vautrin, comme ses yeux s’allument !