Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/73

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crotta, l’étudiant, et fut forcé de faire cirer ses bottes et brosser son pantalon au Palais-Royal.

— Si j’étais riche, se dit-il en changeant une pièce de cent sous qu’il avait prise en cas de malheur, je serais allé en voiture, j’aurais pu penser à mon aise.

Enfin il arriva rue du Helder et demanda la comtesse de Restaud. Avec la rage froide d’un homme sûr de triompher un jour, il reçut le coup d’œil méprisant des gens qui l’avaient vu traversant la cour à pied, sans avoir entendu le bruit d’une voiture à la porte. Ce coup d’œil lui fut d’autant plus sensible, qu’il avait déjà compris son infériorité en entrant dans cette cour, où piaffait un beau cheval richement attelé à l’un de ces cabriolets pimpants qui affichent le luxe d’une existence dissipatrice, et sous-entendent l’habitude de toutes les félicités parisiennes. Il se mit, à lui tout seul, de mauvaise humeur. Les tiroirs ouverts de son cerveau et qu’il comptait trouver pleins d’esprit se fermèrent, il devint stupide. En attendant la réponse de la comtesse, à laquelle un valet de chambre allait dire les noms du visiteur, Eugène se posa sur un seul pied devant une croisée de l’antichambre, s’appuya le coude sur une espagnolette et regarda machinalement dans la cour. Il trouvait le temps long, il s’en serait allé s’il n’avait pas été doué de cette ténacité méridionale qui enfante des prodiges quand elle va en ligne droite.

— Monsieur, dit le valet de chambre, madame est dans le boudoir et fort occupée, elle ne m’a pas répondu ; mais si monsieur veut passer au salon, il y a déjà quelqu’un.

Tout en admirant l’épouvantable pouvoir de ces gens