Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/83

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— Beaucoup, répondit Eugène devenu rouge et bêtifié par l’idée confuse qu’il eut d’avoir commis quelque lourde sottise.

— Chantez-vous ? s’écria-t-elle en s’en allant à son piano dont elle attaqua vivement toutes les touches en les remuant depuis l’ut d’en bas jusqu’au fa d’en haut. Rrrrah !

— Non, madame.

Le comte de Restaud se promenait de long en large.

— C’est dommage, vous êtes privé d’un grand moyen de succès. — Ca-a-ro, ca-a-a-ro, ca-a-a-a-ro, non dubita-re, chanta la comtesse.

En prononçant le nom du père Goriot, Eugène avait donné un coup de baguette magique, mais dont l’effet était inverse de celui qu’avaient frappé ces mots : « parent de madame de Beauséant. » Il se trouvait dans la situation d’un homme introduit par faveur chez un amateur de curiosités, et qui, touchant par mégarde une armoire pleine de figures sculptées, fait tomber trois ou quatre têtes mal collées. Il aurait voulu se jeter dans un gouffre. Le visage de madame de Restaud était sec, froid, et ses yeux devenus indifférents fuyaient ceux du malencontreux étudiant.

— Madame, dit-il, vous avez à causer avec M. de Restaud, veuillez agréer mes hommages, et me permettre…

— Toutes les fois que vous viendrez, dit précipitamment la comtesse en arrêtant Eugène par un geste, vous êtes sûr de nous faire, à M. de Restaud comme à moi, le plus vif plaisir.