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Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/91

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d’entasser mensonges sur mensonges. Monsieur d’Ajuda dit alors en riant :

— Vous l’exigez ?

— Oui, certes.

— Voilà ce que je voulais me faire dire, répondit-il en jetant un de ces fins regards qui auraient rassuré toute autre femme. Il prit la main de la vicomtesse, la baisa et partit.

Eugène passa la main dans ses cheveux et se tortilla pour saluer en croyant que madame de Beauséant allait penser à lui ; tout à coup elle s’élance, se précipite dans la galerie, accourt à la fenêtre et regarde monsieur d’Ajuda pendant qu’il montait en voiture ; elle prête l’oreille à l’ordre, et entend le chasseur répétant au cocher :

— Chez monsieur de Rochefide.

Ces mots, et la manière dont d’Ajuda se plongea dans sa voiture, furent l’éclair et la foudre pour cette femme, qui revint en proie à de mortelles appréhensions. Les plus horribles catastrophes ne sont que cela dans le grand monde. La vicomtesse rentra dans sa chambre à coucher, se mit à sa table, et prit un joli papier.

« Du moment, écrivait-elle, où vous dînez chez les Rochefide, et non à l’ambassade anglaise, vous me devez une explication, je vous attends. »

Après avoir redressé quelques lettres défigurées par le tremblement convulsif de sa main, elle mit un C qui voulait dire « Claire de Bourgogne », et sonna.

— Jacques, dit-elle à son valet de chambre qui vint aussitôt, vous irez à sept heures et demie chez monsieur de Rochefide, vous y demanderez le marquis d’Ajuda. Si