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le sang de la coupe

Ils s’arrêtent d’abord au festin plein de flammes
Où l’or, que rend vivant l’esprit des ciseleurs,
Reflète follement, pour enchanter nos âmes,
Le sang des noirs raisins et les lèvres des fleurs.

Là, la coupe est en feu sous les tresses fleuries,
Tout s’étale à souhait pour ravir les amants :
Le vin du Rhin y lutte avec les pierreries,
Et la blancheur du lys avec les diamants.

Les voyageurs divins sous la splendide voûte
S’avancent d’un air doux et cependant hautain
En faisant voir leurs pieds tout meurtris de la route,
Et disent : Donnez-nous une place au festin.

Puis ils vont au théâtre, au cher pays du rêve,
Où de deux bras de lys pour une heure enlacé,
Le sublime histrion, appuyé sur son glaive,
S’écrie : Ô Juliette ! avec un ton glacé.

Ils lui disent : Oh ! viens, toi qui connais les charmes
De la Douleur, pareille à l’orage des flots,
Que nous te racontions la cause de nos larmes,
Et pourquoi notre cœur est gonflé de sanglots !

Puis ils vont au dernier sanctuaire, où l’artiste,
Pareil à la Pythie interrogeant l’autel,
Se demande quelle est la tête noble et triste
Qui mérite le marbre et le bronze immortel.