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histoire de la ballade

assujettie à aucun ton, ni à aucune inspiration spéciale, ni à la majesté, ni à la pompe, ni à la tristesse, ni à la gaieté. Elle n’est point condamnée, comme la plaintive Élégie, à s’habiller de deuil et à aller pleurer les cheveux épars dans les cimetières. Rien ne l’oblige à se parer de fleurs des champs, comme l’Idylle, ni à secouer les grelots, comme la Chanson. Son caractère est dans le rhythme, et nullement dans le sentiment, ni dans le sujet. Aussi n’est-il point de ton qu’elle n’ait pris, de sentiment ou d’idée qu’elle s’interdise : tour à tour pompeuse avec Marot, guerrière avec Eustache Morel, amoureuse et mélancolique avec Charles d’Orléans, mignarde avec Froissart, ironique et badine avec Voiture et Sarrazin. Villon l’a faite à son gré, cynique dans sa peinture du logis de la Grosse Margot, pieuse et séraphique dans ce cantique à la Vierge, écrit pour sa mère, que Théophile Gautier compare aux peintures primitives des vitraux et des missels, à un lys immaculé s’élançant du cœur d’un bourbier.

Mais cette distinction d’Estienne Pasquier ne tranche-t-elle pas les deux rôles ? D’un côté le genre académique, solennel, formaliste ; de l’autre un produit spontané, œuvre de tous, invention populaire ou nationale, un rhythme simple et obéissant, se prêtant à tout, parlant de tout sans préjugé et sans restriction, et devenant à un moment donné la forme préférée, courante, adoptée partout, en haut et en