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le sang de la coupe

Non, le bonheur n’est point sur la couche enfantine
De votre jeune épouse échevelée au vent,
Qui, nouant de ses bras le beau collier mouvant,
Vous enivre aux parfums de sa jeune poitrine,
Et songe dans son cœur aux amours du couvent
En vous disant : Je t’aime ! avec sa voix divine.

Le bonheur, ce n’est pas d’errer sous les bosquets
Où s’égarent, bras nus, ces filles triviales
Dont les robes de soie et les hardis bouquets
Resplendissent les soirs sous les lustres des salles,
Et passent des salons aux cabarets des halles,
Et des bras des Césars dans les bras des laquais !

C’est d’avoir sur le dos de la mer qu’elle scinde,
Une flotte qui porte, avec ses galions,
L’ivoire de Java, les marbres blancs du Pinde,
Les perles de Ceylan, grosses de millions,
Le duvet de l’eider et les tissus de l’Inde,
Les dépouilles des Dieux et celles des lions !

Le bonheur, c’est d’aller pour la chose commune
Haranguer un sénat en mots impétueux,
De dominer sans peur les cris tumultueux,
Et de bien voir, si haut que monte sa fortune,
Plissant à votre voix son front majestueux,
Le ministre pâlir au pied de la tribune !