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Page:Banville - Œuvres, Le Sang de la coupe, 1890.djvu/38

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le sang de la coupe

Seule, les yeux éteints, sous la vive clarté
Des flambeaux, des surtouts et des lustres sévères,
Tandis que ses amants au regard enchanté
Cachent sous mille fleurs des tristesses amères,
La Débauche sourit et boit dans tous les verres,
Et dit en grimaçant : Je suis la Volupté !

Et la cité superbe, insatiable, immonde,
Aux balcons des palais, aux lucarnes des toits,
Hommes, vieillards, enfants, vierges à tête blonde,
Foulant aux pieds ses Dieux, ses lauriers et ses lois,
Avec ses millions de bouches et de voix
Crie et chante son hymne au seul maître du monde !

Voilà ce qu’entendit la Déesse au front d’or.
Et fauve, sur son front et sa tête sacrée
Sa chevelure épaisse, ondoyante et dorée,
Tressaillit et laissa ruisseler son trésor.
Cypris trembla de rage, et frissonnante encor,
Elle mit sur son arc une flèche acérée.

Alors sur ses beaux seins par ses ongles meurtris
Tombent à flots ses pleurs ainsi qu’une rivière ;
Ses voiles au hasard fouettent les vents surpris ;
Parmi ses blanches dents que baise la lumière
S’échappent furieux les sanglots et les cris ;
Le dédain fait pâlir sa bouche rose et fière.