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le sang de la coupe

Ô fleur, quand ton amant t’a choisie un matin,
Sans regrets tu l’accueilles
Parmi l’air parfumé de lilas et de thym,
Dans un beau lit de feuilles.

Sur ton cœur virginal, par l’amour embrasé,
Aucun regret ne pèse,
Ô ma sœur, et surtout jamais rien n’a baisé
La lèvre qui te baise.

Jamais, ô fleur, pas même à l’heure du trépas,
Tu n’es abandonnée !
Tu meurs près d’un amant qui ne te laisse pas
Lorsque tu t’es donnée.

Il ne te laisse pas à ce plaisir amer
Des sanglots pleins de charmes,
Seule, avec le regret, profond comme une mer,
Des baisers et des larmes.

Il ne te laisse pas au souvenir flétri
Où notre lèvre avide
Se brûle, comme au bord d’un grand fleuve tari
Dont le lit serait vide !

Il ne te laisse pas sur une couche en feu,
Soucieuse et lassée,
Le front pâle, mourir sans avoir dit adieu
Et sans être embrassée !


Juin 1846.