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LES EXILÉS

Son bras pur, ces lueurs fauves qui m’enivraient,
Ces pourpres, ces rougeurs, ces lèvres qui s’ouvraient
Voluptueusement ainsi que des corolles,
Tout cela n’est plus rien désormais ; ses paroles
Ne dérouleront plus des notes de cristal !
Ô douleurs, ô ruine, ô délire fatal !
Quoi ! ce chef-d’œuvre entier de formes et de lignes,
Son jeune sein, plus blanc que la plume des cygnes,
Et ce vague frisson de rose d’Orient
Où la lumière passe et joue en souriant,
Ces dents où la caresse aimante se mutine,
Cet ensemble de grâce et de force enfantine,
Ce beau type idéal sur la terre jeté
Dans sa perfection et son étrangeté,
Va s’endormir sous l’herbe et, dépouille flétrie,
Cet objet merveilleux de mon idolâtrie
Dans la nuit du tombeau, dans l’immuable hiver,
Lambeau meurtri, pâture effroyable du ver,
Sentira donc sur lui ces bouches assassines
Dans la terre gluante où passent des racines !
Puis sa chair, ses os même en cendre s’en iront ;
L’arbre insensible et dur poussera dans son front,
Et les buissons, les fleurs, l’herbe du cimetière,
Nourris d’elle à jamais, la boiront tout entière !
Elle fera grandir les rameaux chevelus,
Et de tant de trésors il ne restera plus
Que le lys meurtrier et la rose sanglante !
C’est ainsi qu’en ma tête en feu, de pleurs brûlante,