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LES EXILÉS

Lumineuse, traînant un long vêtement bleu,
Contre la cheminée où brûlait un grand feu
Elle appuya sa main d’opale radieuse,
Et toute son allure était mélodieuse !
L’ardent rayonnement que projette l’esprit
La faisait resplendir tout entière ; elle ouvrit
Sa bouche dont la ligne eût ravi Praxitèle
Et parla : Cher, ô cher exilé, disait-elle
En laissant résonner le cristal de sa voix,
Ne pleure plus ! Je vis telle que tu me vois,
Fraîche comme le lys et la rose trémière.
Mes cheveux fulgurants, effluves de lumière,
Vivent ; et ces couleurs, ces formes, ces contours
Que tu nommais jadis mon corps, vivent toujours,
Mais beaux, mais rajeunis par une apothéose,
Et ma lèvre d’enfant sourit, sanglante et rose !
L’âme silencieuse et le corps sont tous deux
Immortels sans retour, et ce serpent hideux
Qui mord, en se tordant, le talon de ses maîtres,
La Mort, ne détruit pas la figure des êtres.
Ce qui meurt ici-bas naît dans l’infini bleu.
Écoute bien ceci : Quand le pouce de Dieu
S’est imprimé, rêveur, sur une face humaine,
L’empreinte vit, malgré la mort, malgré la haine,
Malgré la sombre nuit d’où l’esclave aux beaux yeux
Une seconde fois s’élance radieux.
Oui, sans doute, la Mort, l’être affreux que tu nommes
La Mort, mange et détruit l’enveloppe des hommes ;