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LES EXILÉS


Ah ! peut-être qu’enfin, race pleine de joie !
Quand les vautours de l’air acharnés sur ton flanc
Seront las de te mordre et de manger ton foie,
Et d’agrandir ta plaie et de boire ton sang,

Nourrice de héros, sainte aristocratie,
Tu règneras avec ton regard azuré
Sur ce monde qui rêve à peine et balbutie,
Et certes, ce jour-là, je me reposerai !

C’est ainsi que parlait, aux passants de la terre,
Le divin Célio, que regrettent les fleurs.
Il est mort sans avoir à son lit solitaire
Une timide épouse échevelée en pleurs.

Mais sur l’âpre montagne où parmi l’herbe haute
Frémit le bouton d’or, par la brise plié,
La forêt, dont il fut le compagnon et l’hôte,
Depuis qu’il est parti, ne l’a pas oublié !

Et les trembles d’argent, les chênes, les érables,
Et la grotte où frissonne un luth éolien,
Et l’eau vive, si douce au cœur des misérables,
Et les grands sapins noirs se le rappellent bien !

Et la mer, et la mer plaintive, son amante,
Et l’Océan houleux brisé par les récifs,
Murmurent sans repos son nom dans la tourmente
Et l’apprennent encore aux matelots pensifs.