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LES EXILÉS


Oui, c’est étrange. Il est des acteurs qui succombent,
Jouet de leur amour et de leur passion,
Et que le Drame étreint dans sa serre, et qui tombent
Flagellés par le vent de l’Inspiration.

Nous en avons connu : Dorval échevelée
Et Frédérick versant les larmes de Ruy Blas,
Malibran qui tenait sa lyre désolée,
Rachel mourante et blanche, et lui, Rouvière, hélas !

Et lui, car il n’est pas d’audaces impunies !
Lui qui subit l’horreur de son destin fatal,
Parce qu’il s’enivrait au festin des génies
De ce vin enflammé qu’on nomme l’Idéal.

Shakspere l’emportait dans la forêt hantée
Que son puissant esprit peuple d’illusions,
Et l’artiste, vaincu par ce grand Prométhée,
Revenait devant nous en proie aux visions.

Hamlet ! ô jeune Hamlet, sombre amant d’Ophélie !
Pauvre cœur éperdu, que cette morte en fleur
Emporte dans la nuit de sa douce folie,
Non, ce n’est pas en vain qu’on touche à ta douleur.

Tu prononces des mots trop divins pour nos lèvres !
On a le front pensif et le regard flétri
Dès que l’on a connu tes douloureuses fièvres,
Et pour toute la vie on en reste meurtri.