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Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/19

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Ceux pour qui nulle espérance n'existe ici-bas, ce sont les passants épris du beau et du juste, qui au milieu d'hommes gouvernés par les vils appétits se sentent brûlés par la flamme divine, et où qu'ils soient, sont loin de leur patrie, adorateurs des dieux morts, champions obstinés des causes vaincues, chercheurs de paradis qu'ont dévorés la ronce et les cailloux, et sur le seuil desquels s'est même éteinte comme inutile l'épée flamboyante de l'archange. Ceux-là parfois rencontrent leurs frères si rares, comme eux exilés, et échangeant avec eux un signe de main et un triste sourire, ils plaignent la pierre même, qui, transportée loin de son soleil, pâlit et s'en va en poussière, et le grand lion mordu par le froid qui, dans la cage où l'homme l'a fait prisonnier, étire ses membres souverains, bâille avec dédain en montrant sa langue rose, et parfois regarde avec étonnement, captif comme lui, l'aigle qui fixait les astres sans baisser les yeux, et qui dans la nuée en feu, déchirée par l'ouragan, suivait d'une aile jamais lassée le vol vertigineux de la foudre.

T. B.

mardi, 24 novembre 1874.