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LES EXILÉS

Sa chevelure, et par tes soins, bonne pastoure,
Eût retrouvé son los antique et sa bravoure !
Mais, oh ! pourquoi dans tous les temps blessée au flanc
Laisse-t-elle aux buissons des taches de son sang ?
Jeanne, à présent c’est toi, c’est la Lorraine même
Que tient dans ses deux poings l’étranger qui blasphème,
Et qui brave ta haine aux farouches éclairs.
C’est lui, le dur Teuton d’Allemagne aux yeux clairs,
Qui fauche tes épis rangés en longue ligne
Dans la plaine, et c’est lui qui vendange ta vigne.
Tes fleuves désormais ont des noms étrangers,
Un bracelet hideux pèse à tes pieds légers,
Ô guerrière intrépide et que la gloire allaite !
Une chaîne de fer serre ton bras d’athlète,
Et la morne douleur est au pays lorrain.
Mais laisse venir Dieu, le juge souverain
Que servit ton génie, et qui voit ta souffrance.
Ne désespère pas, regarde vers la France !
Tu rallumas ses yeux éteints, comme un flambeau ;
C’est toi qui la repris toute froide au tombeau
Et qui lui redonnas ton souffle : elle te nomme
Depuis ces jours anciens Libératrice, et comme
Alors tu te donnas pour elle sans faillir,
Elle n’entendra pas non plus sans tressaillir
Jusqu’en sa mœlle, et sans que la pitié la prenne,
Le long sanglot qui vient des marches de Lorraine !


30 mai 1872.