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LES EXILÉS

Les vierges, les vieillards devant leur porte assis
Étaient vite accourus en foule à mes récits,
Et le pain et le vin ne m’avaient pas fait faute.
Or je partais chargé des présents de mon hôte,
Et sous les oliviers, parmi les chemins verts,
J’allais d’un pas rapide, orgueilleux de mes vers.
Comme j’étais entré dans la forêt qui grimpe
Mystérieusement au pied du mont Olympe,
Je vis auprès de moi, debout sur un talus,
Un homme fier, pareil aux Géants chevelus
Que la Terre enfanta dans sa force première.
Son visage était pâle et baigné de lumière.
Il touchait de la tête aux chênes murmurants ;
À l’entour, dans les rocs penchés sur les torrents,
Les noirs rameaux touffus, en écoutant son ode,
Frissonnaient, et c’était le chanteur Hésiode.
Les âges à venir, pour nos regards voilés,
Pensifs, se reflétaient dans ses yeux étoilés ;
Les tigres lui léchaient les pieds dans leur délire,
Et les aigles volaient près de sa grande lyre.
Le devin se dressa dans les feuillages roux.
Il abaissa vers moi ses yeux pleins de courroux
Où la nuit formidable avec l’aube naissante
Se mêlait, et cria d’une voix menaçante
Qui remplissait les bois devenus radieux :
Ne fais pas un jouet de l’histoire des Dieux !
Je m’inclinai, tremblant et pâle de mon crime.
Il ajouta : Vois-tu la Nature sublime