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LES EXILÉS


La Mort de l’Amour


Une nuit, j’ai rêvé que l’Amour était mort.
Au penchant de l’Œta, que l’âpre bise mord,
Les Vierges dont le vent meurtrit de ses caresses
Les seins nus et les pieds de lys, les chasseresses
Que la lune voit fuir dans l’antre souterrain,
L’avaient toutes percé de leurs flèches d’airain.
Le jeune Dieu tomba, meurtri de cent blessures,
Et le sang jaillissait sur ses belles chaussures.
Il expira. Parmi les bois qu’ils parcouraient
Les loups criaient de peur. Les grands lions pleuraient.
La terre frissonnait et se sentait perdue.
Folle, expirante aussi, la Nature éperdue
De voir le divin sang couler en flot vermeil,
Enveloppa de nuit et d’ombre le soleil,
Comme pour étouffer sous l’horreur de ces voiles
L’épouvantable cri qui tombait des étoiles.