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LES EXILÉS


Regardez-le passer, grave, au bord de la mer,
C’est un sage, c’est un superbe esprit tranquille,
Hôte de l’ouragan sombre et du flot amer,
Divin comme Hésiode, auguste comme Eschyle.

Il marche, hôte rêveur, lisant dans le ciel bleu.
Son corps robuste est comme un chêne et son front penche,
Son habit est grossier, son regard est d’un Dieu,
Son œil profond contient un ciel, sa barbe est blanche.

Les ans, l’âpre douleur, ont neigé sur son front ;
Il n’a plus rien des biens que la jeunesse emporte ;
Il a subi l’erreur, l’injustice, l’affront,
La haine ; sa patrie est loin, sa fille est morte.

Tant de maux, tant de soins, tant de soucis jaloux
Ont-ils rendus son âme inquiète ou méchante ?
Petits oiseaux des bois, il est doux comme vous.
Comment s’est-il vengé des envieux ? Il chante.

Jadis il a connu le prestige imposant,
Les applaudisssements qu’on est joyeux d’entendre,
Les honneurs, le tumulte ; il se dit à présent :
Qu’était cette fumée, et qu’était cette cendre ?

Contre le mal, pareil aux flèches d’or du jour,
Indigné comme il fut dans la bouche d’Alcée,
Et d’autres fois divin, fait d’azur, plein d’amour,
Le vers éblouissant jaillit dans sa pensée.