Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
63
LES EXILÉS

Conduisent leur troupeau d’étoiles qui flamboie,
Et tous chantent, joyeux d’être Lumière et Joie !
C’est leur Chant écouté dans la tremblante nuit
Par l’arbre muet, par le fleuve qui s’enfuit,
Par la mer furieuse et dont les flots sauvages
Déborderaient bientôt leurs arides rivages,
Qui fait que l’univers par le Nombre enchaîné
Obéit et demeure à la règle obstiné ;
Que l’arbre, noir captif, boit aux sources divines
Sans tenter d’arracher de terre ses racines ;
Que le fleuve sommeille, oubliant ses douleurs,
Et que l’ombre au vol noir, laissant couler ses pleurs
Et son sang, d’où les fleurs du matin vont éclore,
Sans révolte et sans cri s’enfuit devant l’aurore !
Ce chant nous dit : Mortels et Dieux, pour ressaisir
La joie, élevez-vous par le puissant désir
Vers le ciel chaste où l’ombre affreuse est inconnue !
Car, si vous le voulez, à votre épaule nue
Des ailes s’ouvriront, et, dévorés d’amour,
Vous monterez enfin vers la Lumière. Un jour,
La Mort, la Nuit, cessant de sembler éternelles,
Fuiront devant le feu sacré de vos prunelles,
Et vos lèvres, buveurs d’ambroisie et de miel,
Boiront la clarté même et la splendeur du ciel !
Hélas ! telles vers nous leurs prières s’envolent ;
Mais souvent en leur clair triomphe, ils se désolent
Parce que, dans la nuit courant vers le trépas,
Les hommes et les Dieux ne les entendent pas !