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LES EXILÉS

Vous dites, bondissant en vos danses hardies,
Aphroditè d’or aux paupières arrondies
Qui par un doux Désir prit les Olympiens
Et les hommes et les oiseaux aériens,
Et qui, vivante fleur que sa beauté parfume,
Apparut sur la mer dans la sanglante écume !
Et les Heures alors, filles du Roi des cieux,
Parèrent sa poitrine et son cou gracieux
De colliers brillants dont la splendeur environne
Sa chair de neige, puis ornant d’une couronne
Son front ambroisien, s’empressèrent encor
Pour attacher à ses oreilles des fleurs d’or !
Ô Muses ! bondissant près des eaux ténébreuses,
Vous célébrez ainsi les victoires heureuses
Et Cypris rayonnant sur les flots onduleux
Et Bacchos couronné de ses beaux cheveux bleus !
Mais moi, je chante l’Homme et sa dure misère
Et les maux qui toujours le tiennent dans leur serre,
Pauvre artisan boiteux, qui sous l’ombre d’un mur
Travaille et forge, ayant l’appétit de l’azur !
Victime qui, de gloire et de fange mêlée,
Ne possède ici-bas qu’une flamme volée
Et voit mourir les lys entre ses doigts flétris !
Être affamé d’amour, qui dans ses bras meurtris
Ne peut tenir pendant une heure son amante
Sans qu’un génie affreux venu dans la tourmente
La lui prenne sitôt que cette heure s’enfuit
Et, blanche, la remporte aux gouffres de la nuit !