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LES EXILÉS

Et c’est pourquoi, sentant dans mon cœur les morsures
Cruelles et le feu cuisant de leurs blessures,
Je vous adjure encor pour que votre pitié
Tombe parfois sur l’être obscur et châtié,
Et délivre surtout de leurs douleurs secrètes
L’immobile captif et les choses muettes !
Ayant ainsi chanté pour tous, le Roi divin
Se tut ; mais emplissant les gorges du ravin,
Un reste de sa plainte émue errait encore
Douloureusement sur la cithare sonore.
La nuit tombait ; alors, dans le grand désert nu,
Comme si le neigeux Olympe fût venu
Vers l’inventeur des chants, et, pour trouver sa trace,
Eût traversé le golfe où dort la mer de Thrace,
Et, portant sur sa tête un ciel de diamants,
Franchi les sables d’or et les grands lacs dormants,
Un mont parut, sauvage, ébloui, grandiose
Et noyé de lumière, où dans la clarté rose
Les Immortels vêtus de pourpre étaient debout.
Secourables, semblant avoir pitié de tout,
Leurs regards enchantaient par leurs clartés ailées
La forêt sombre et les étoiles désolées ;
Et le divin Orphée, interrogeant leurs yeux,
Sentit grandir en lui l’homme victorieux
Et bénit l’art des chants en son cœur plein de joie ;
Car sur le front des cieux où leur blancheur flamboie
Les Astres, dont la voix perçait l’éther jaloux,
Resplendissaient de feux plus riants et plus doux ;