Page:Banville - Dans la fournaise, 1892.djvu/111

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L’homme actuel, sublime à la fois et mesquin,
Est vêtu d’un complet, comme un Américain ;
Mais tel qu’il est, ce pître, épris de Navarette,
Qui dans ses doigts pâlis roule une cigarette,
Lit dans les astres noirs d’un œil terrible et sûr,
Voleur divin, saisit Isis en plein azur,
Pose un baiser brutal sur ses yeux pleins d’étoiles,
D’un ongle furieux déchire tous ses voiles,
Comme un fer rouge met la lèvre sur son col
Et la contemple, et pâle encor de son viol,
À ses pieds gémissant une plainte ingénue
Regarde la Nature échevelée et nue.
Oui, l’Homme, vois le bien, tire parti de tout !
Il est beau, l’orateur farouche, qui debout,
Du Progrès fugitif embrassant la chimère,
Parle et courbe les fronts sous sa parole amère ;
Mais le vieux chiffonnier, qui sous le ciel changeant
Montre son crochet noir et sa barbe d’argent,
Près de la verte Seine a des beautés de Fleuve.
Et c’est un beau modèle, avec sa blouse neuve,
Que l’Alphonse blêmi, fashionable et vainqueur,
Dont la cravate rose et les accroche-cœur
Font fanatisme, et qui, doux jeune homme de joie,
Tortille crânement sa casquette de soie.