Page:Banville - Dans la fournaise, 1892.djvu/38

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Que l’éclair dans la nue ou le vol des milans.
Pour pouvoir y suffire il te faudrait mille ans,
Car ton rêve effréné dessine sur des toiles
Plus de sujets toujours divers que n’a d’étoiles
La fourmillante et vaste immensité du ciel.
L’un d’eux, t’en souviens-tu ? fait voir, essentiel,
En sa brutalité, le mythe de la Vie,
Et cette gueule qui, toujours inassouvie
Mord l’Espérance avec son pâle nourrisson.
Ce sujet effrayant, qui donne le frisson,
Je le note en huit vers, tout pantelants de crime,
Et je le fixe avec le clou d’or de la Rime.
Amour, le tourmenteur, le dieu cruel, au fond
De sa caverne, où dort l’oubli noir et profond,
Taciturne, enfermé dans ses ailes énormes,
Sous la tragique horreur des basaltes difformes
Éclairant l’ombre vague avec ses yeux vainqueurs,
Amour soucieux mange et dévore des cœurs,
Et le sang et la chair de ce festin farouche
Débordent en flots noirs sur les coins de sa bouche.


Samedi, 2 avril 1887.