Page:Banville - Eudore Cléaz, 1870.djvu/34

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enfin la jeune femme, impatiente sans doute de voir l’effet d’une surprise qu’elle avait longuement et amoureusement ménagée, alla vers un meuble de Boulle sur lequel était posé un objet dont un voile assez épais dérobait la forme sous ses plis.

« Mademoiselle Eudore, dit-elle, le portrait de M. Cléaz, c’est le cadeau de mon mari, mais permettez-moi de vous offrir mon cadeau à moi ! » Elle déroula rapidement le voile, et alors on put admirer un merveilleux buste de femme, une tête grecque couronnée de laurier. Certes jamais l’inspiration, la pensée, le doux charme persuasif que le plus grand des arts prête à ses élus, n’avaient été traduits plus victorieusement qu’ils ne l’étaient dans ce chef-d’œuvre où l’admirable régularité des traits, la musique des lignes, le calme enchantement rhythmique et l’harmonieuse disposition de la chevelure étaient cependant soumis sans nulle échappatoire et sans nul mensonge aux règles les plus inflexibles de la statuaire. Il sembla à Eudore qu’elle n’avait jamais rien vu de plus beau, même parmi les trésors que l’antiquité nous a légués ; aussi, malgré l’évidence qui l’aveuglait et s’imposait à elle impérieusement, voulait-elle hésiter à reconnaître ses traits dans ceux de cette figure idéale qui cependant était, à n’en pouvoir douter, son portrait vivant. Cléaz, lui, ne put s’y tromper, mais chez lui un sentiment d’admiration sans bornes étouffait la surprise que lui causait cette curieuse ressemblance.