Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/100

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laquelle elle n’a pu se résigner, c’est de n’avoir plus de fleurs, elle à qui le prince de Messine envoyait chaque matin, à son réveil, une hotte de lilas ! Tout à coup elle voit par terre les débris d’un vieux bouquet de roses qu’on a jeté là dans la rue ; de ses doigts osseux elle ramasse des pétales effeuillés, les saisit encore tout tachés de boue, et voluptueusement — les respire !


LIII. — MUSIQUE DE CHAMBRE

C’est le dimanche du Grand Prix. Le soleil d’or a chassé la pluie soudainement balayée, et Paris sans voitures est gai comme une jolie ville de province. Tout seul dans sa chambrette misérable, le vieil Espirat est parfaitement certain qu’il ne possède même pas un sou pour acheter un petit pain ; mais cela lui est bien égal parce qu’il a son violon, et en effet, il joue du violon.

Au son de la folle musique apparaît la forêt verte, et Pierrot qui, assis sur l’herbe, se gorge d’un pâté de bécassines et tette à même un flacon de vin rose. Et peu à peu, jouant toujours, Espirat sent qu’il est lui-même devenu Pierrot ; il savoure le gibier délicat et la claire gelée transparente, couleur de topaze, aromatisée au genièvre. C’est en vain que, passant et repassant derrière lui, Arlequin barbu au visage de carlin, et Colombine en béret, en petit manteau bouton d’or, boivent entre