Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/110

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sur le carreau, dans une chambre sale, noire et lépreuse, où le papier détaché par l’humidité flotte en banderoles, — et gaiement elles savourent un vague festin, plus affreux que celui de Thyeste, car les éléments en ont été ramassés dans l’ordure, au coin des bornes ! Dans l’ombre, contre le mur, des bottes, des sacs et des crochets se dressent curieusement ; et mises en joie par la bouteille de tord-boyaux qui circule et où elle boivent à la régalade, les bonnes amies se mettent à rire, montrant cinq ou six dents à elles quatre. Elles devisent folâtrement de ce qui plaît aux dames et, de fil en aiguille, en viennent à convenir que chacune d’elles racontera sa première aventure et comment l’esprit lui est venu.

La mère Lefol, qui depuis a eu des malheurs, était la fille d’un épicier. C’est un ami de la famille, un employé décoré à qui ses parents la confiaient, qui, la tenant par la main, l’a emmenée promener dans les carrières, et là, tirant un pistolet, l’a menacée de la tuer si elle n’écoutait pas ses madrigaux. À quinze ans juste, madame Lœil a été mariée à un ouvrier zingueur ; le soir des noces, il était saoul comme trente-six mille hommes, et c’est par les cheveux qu’il l’a empoignée à pleines mains, pour lui exprimer qu’il la trouvait jolie.

La mère Bobillier à douze ans avait si bien regardé par les trous des serrures et appris la vie, qu’à la suite de ces études elle s’était cachée dans une niche à chien avec son ami Zidore, un môme futé comme un singe, pour jouer au mari et à la femme. Puis vient le tour de