Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/126

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et d’austères dames costumées en Dianes avec des écharpes de fleurs, évoquent les temps évanouis, tous les mâles de la famille sont constitués en tribunal et jugent un accusé.

L’accusé est un jeune Auvergnat de Joze, le porteur d’eau Chevenon, ingénu, robuste comme Hercule, coiffé d’une épaisse broussaille de noirs cheveux et dont une barbe naissante ombrage à peine le visage rose et bien portant. Voici les faits : Mademoiselle Yolande de Pierre Fort, belle comme un lys dans l’éclatante grâce de ses seize ans, a été séduite ; elle est grosse, et on a découvert que le coupable n’est autre que l’Auvergnat Chevenon. Évidemment ce misérable n’est là que l’instrument d’une intrigue savamment ourdie par d’audacieux spéculateurs, rêvant de s’approprier les vingt millions que la riche héritière doit réunir un jour sur sa tête.

Il s’agit de le confesser, de lui faire dire tout, de saisir à travers ses aveux le fil de la conspiration. Pour mieux intimider et troubler le jeune scélérat, les Pierre Fort ont revêtu leurs ordres, leurs plaques, leurs habits juridiques, sacerdotaux et militaires, et tous l’attaquent avec les ressources particulières de leur esprit professionnel. Le vidame Guy le crible de fines épigrammes, l’archevêque Mainfroi lui parle avec onction, le général Roland le menace d’une voix de tonnerre, et comme le président Yves, en cheveux blancs, magnifique sous l’hermine et la robe écarlate, le presse encore de dire à quel mobile compliqué il a pu obéir, Chevenon, rougissant