Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/154

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cou le large ruban bleu auquel pend une médaille. Longues, masculines, droites comme des bâtons, tannées et baisées par l’ombre, par la brise et par le soleil, elles ressemblent à des garçons, parce que le charme ne leur a pas été enseigné, et parce qu’elles sont trop pauvres et déshéritées pour avoir appris la grâce. Une seule parmi elles, par quelque jeu absurde et fou de la destinée, est belle comme une jeune reine, onduleuse avec des traits impérieux et divins, pareille à un lys sauvage qui aurait poussé dans un champ de seigle.


XC. — SCIENTIA

Déjà las de la lutte, émacié, pâle et jaune, l’artiste Paul Héras est étendu dans un grand fauteuil de tapisserie. Il sent que la maladie l’a touché de son doigt cruel, et pourtant il voudrait vivre, pour sa chère femme fidèle, et pour ses petits, qui ont besoin encore de la becquée. En face de lui, chevauchant une fumeuse, papillonne, bavarde et s’admire son médecin Guy de Macroton, jeune, évaporé, las, revenu de tout, serré, ficelé, charmant. Sa coiffure où, comme Caussidière, il a fait de l’ordre avec du désordre, est un chef-d’œuvre ; sa légère barbe voltige autour de son visage rosé ; son complet d’une étoffe tendre, dans laquelle courent des raies bleu tendre et d’imperceptibles raies d’un rouge