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cent la nuée, les chevaux échevelés, le choc des armures et les horribles batailles des Dieux.


CIII. — LA FEMME DU DIABLE

Ordinairement, comme on le sait de reste, le Diable est écarlate de la tête aux pieds, comme un cardinal dont l’habit serait collant, et dont le visage aurait été taillé dans la même étoffe d’où on a tiré son habit. Mais en ce moment, il est rouge comme la braise dans l’âtre, d’un rouge aigu, pelucheux, rosé et blanchissant, et sa lèvre fume comme un réchaud, parce que sa femme le tire vertigineusement et avec une incroyable dépense de force — par sa longue queue à panache, qui passe sous son correct veston, — le seul de nos vêtements qu’ait pu consentir à adopter le Diable, réfractaire aux autres pièces de notre costume. Lui, le Diable écarlate, et elle, sa femme, vêtue à la dernière mode parisienne, il est vrai avec une robe dont l’étoffe est du feu allumé, tous les deux courbés en arc, lui en avant et voulant s’évader, elle en arrière et tirant toujours, ils donnent le spectacle d’un ménage effroyablement uni.

— « C’est trop, c’est trop ! dit enfin le pauvre mari flamboyant, pourpré, carbonisé, suant d’ahan. Laissez-moi, de grâce, respirer.

— Ah ! dit la dame, tirant plus que jamais, soyez