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CXVIII. — LE JUIF-ERRANT

Sous la pluie, sous les ouragans, sous les fureurs du ciel en délire, sans arrêt, sans repos, sans trêve, le Juif est toujours emporté à travers les champs, les forêts, les châteaux, les cités, les capitales, les plaines désertes ; non plus à pied, comme autrefois, mais au galop des chevaux noirs attelés à sa berline de voyage. Il n’est plus vêtu de la blouse rouge et du tablier de cuir, et on ne voit plus tourbillonner autour de son front, sous le souffle de la tempête, une longue chevelure épouvantée, comme lorsqu’il fut rencontré par des bourgeois de Bruxelles en Brabant. Aujourd’hui le baron Isaac de Laquedem est devenu complètement chauve, comme un rocher poli, et sa barbe grise, un peu longue au menton mais tout à fait courte sur les joues, est taillée à la dernière mode.

Bien qu’il ne doive s’arrêter à aucun bal, puisqu’il ne s’arrête nulle part, le baron Isaac est, sous son élégant pardessus garni de fourrure, en grande tenue officielle, ganté, cravaté de blanc, et sa chemise bien empesée et son habit noir disparaissent sous les rubans, les crachats, les grands cordons, les colliers, les croix, les plaques et les étoiles de tous les ordres de l’univers. La foule ébahie le regarde passer, comme un dieu, et même quelques