Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/202

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emploi. Et qui sait s’il ne me permettra pas de retourner à mon premier état de rhythmeur ? car peut-être pourrais-je rendre quelques services, pour composer et rimer très exactement les Odes qui sont chantées par les tout petits Anges, dans les cieux inférieurs. Quant aux Chérubins vêtus de lumière et entourés de leurs grandes ailes géantes, je sais bien qu’Orphée et Pindare, Hugo et Gautier ne sont pas de trop pour eux : mais à chacun selon son mérite.

Ah ! certes, dans les jardins de délices où les lys de diamant fleurissent, je voudrais bien voir Celui qui, éveillant sa grande lyre, force les lions et les tigres soumis à pleurer d’amour ; et aussi le bon Ronsard, vêtu de pourpre, comme il souhaita toujours de l’être, et jetant des roses dans son vin savoureux. Je voudrais voir les grands Français : Rabelais, avant tous ; Villon qui, jouissant de l’éternelle béatitude, ne craint plus d’être pendu ; Clément Marot, délivré du vilain masque méchant que notre adoré Maître lui a mis sur le visage, et la Fontaine qui, en gravissant les bleus escaliers des cieux, n’a pas eu à apprendre la sagesse, puisqu’il la savait déjà ! Et surtout je voudrais voir Henri Heine et Aristophane sous leurs blancs vêtements, marchant embrassés comme deux frères, et au bord d’un Eurotas aux flots d’argent bordé de lauriers-roses, admirant la splendeur héroïque d’Hélène aux beaux cheveux et la tête vénérable, lisse comme ivoire, du soldat Eschyle.

Mais cependant, si à cause de mes méchancetés et des