Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/68

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Paul, qui heureusement n’a rien vu. Et avant de remonter en voiture, elle donne un louis à la petite vagabonde, et en même temps, avec une haine farouche, elle lui pince le bras — jusqu’au sang !


XXXII. — GOURMANDISE

Pour accomplir son sacerdoce, Brumaque n’a voulu autour de lui ni serviteurs ni valets. Entouré d’étagères commodes, sur lesquelles les flacons et les vaisselles ont été disposés à souhait, il ne sera troublé par personne dans l’exercice de ses délicates fonctions. Même il a voulu que le repas fut entièrement froid, afin que nul intervalle ne vînt alanguir ses plaisirs. Déjà il a versé dans deux de ses verres pour commencer, le Loka et le Sicile blanc, et commodément assis devant l’énorme table où, sur la nappe aux blancheurs de neige, la truite de ruisseau, la carpe de Loire cuite au bleu avec ses œufs, le pâté de foies de canard du grand Tivollier, la terrine de cailles, la salade de truffes, les écrevisses cuites à la Lorraine, les noirs raisins, les pêches aux chairs veloutées et les confitures d’épines-vinettes chatouillent agréablement ses yeux, il se prépare à procéder, lorsque, entré par les fentes de la porte, un fumet suave, délicieux, irrésistible, sollicite ses narines et vient lui mettre l’eau à la bouche.

Brumaque se lève, traverse le corridor, et toujours