Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/82

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flamme liquide a-t-elle traversé son gosier, qu’elle semble se ranimer et renaître.

— « Un autre ? dit-elle timidement, comme un enfant qui implore.

— Oui, un autre, dit le lord, et autant que vous en voudrez. »

Coup sur coup, la vieille boit plusieurs verres, et ses lèvres rougissent, son cou se redresse, un éclair paraît dans ses pâles yeux glauques, et comme folle de reconnaissance et de joie :

— « Ah ! merci, s’écrie-t-elle, merci, Henry !

— Quoi, demande lord Lilly étonné, vous savez mon nom !

— Oui, dit-elle, c’est moi qui étais Kitty, la petite Kitty, femme de chambre de madame la duchesse votre mère, dans son château du comté de Berk, où les cygnes noirs voguaient sur l’eau frissonnante du sombre fleuve. Et je crois bien que j’ai été la première fillette à laquelle vous avez dit alors : Mon cher cœur ! — Mais depuis ce temps-là, beaucoup de jours ont passé ; j’étais belle, et maintenant je suis laide, épouvantablement laide.

— Non, dit lord Lilly en admirant la compagne de sa jeunesse, pareille à une Parque funèbre, que le gin ressuscite, c’est un autre genre de beauté : voilà tout ! »