Page:Banville - Les Belles Poupées, 1888.djvu/134

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tendu d’étoffe bleu pâle, dans laquelle luisaient aigus de vagues feuillages d’argent, elles causèrent. Puis, après les premières confidences, la comtesse de Latil laissa déborder toute l’amertume dont son cœur était plein.

— Ah ! ma chère, dit-elle, quelle niaiserie, quelle plaisanterie, quelle mystification, quelle horrible farce que le mariage ! Ah ! si on le savait à l’avance, comme on aimerait mieux tout ! Être religieuse sans vocation, que dis-je ? dame de compagnie dans le plus douloureux esclavage, petite maîtresse de piano sans talent, courant le cachet avec des caoutchoucs, actrice manquée, poétesse ridicule, saltimbanque vêtue en velours de coton semé d’étoiles, et jouant du trombone dans les foires, oui, cela vaudrait mieux. Et ce qu’il y a de pis, n’est-ce pas ? c’est que tous les maris, sans exception, sont exactement de la même farine.

— Oh ! pas tout à fait, dit madame de Cherfix.

— Oui, je te comprends, dit la comtesse, la douleur me rend injuste, et, en effet, tu dois être encore mille fois plus malheureuse que moi, car pour toi ce fut net et complet. Tu as épousé un simple colosse, un géant bon à montrer dans les baraques, un phénomène qui avec ses doigts casse en deux un fer à cheval, comme le maréchal de Saxe, et qui ne gagne pas de