Page:Banville - Les Belles Poupées, 1888.djvu/18

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l’âme d’un siècle. Souvenez-vous : celle-ci, vous l’avez vue au Bois, dans les salons, à la Comédie ; celle-là, dans sa maison somptueuse ; les autres, dans les villes d’eaux, dans les jardins, partout, et il n’en est pas une dont les traits charmants n’aient été égratignés par l’ongle féroce de la Vie.

— En effet, dis-je, après avoir contemplé les figures, ces personnes, comme vous dites, reproduisent exactement l’aspect d’autres personnes plus grandes, que j’ai certainement vues.

— Et, dit Chanderlos, chacune d’elles pourrait vous raconter son histoire, et quand vous auriez emmagasiné dans votre tête tous ces récits, rien ne vous empêcherait d’en faire une petite — oh ! il est vrai, bien petite ! — Comédie humaine.

— Monsieur, lui dis-je, vous êtes bien honnête, mais la grande me suffit parfaitement.

— Certes, dit Chanderlos, elle me suffit aussi. En tant qu’éléphant, rien ne vaut un éléphant véritable, qui casse les bambous en marchant, foule sous ses pieds des guerriers vaincus, et porte dans sa tour un roi armé d’un arc d’or, ou une princesse plus brillante que les étoiles. Mais il y a aussi de très petits éléphants, essentiellement minuscules, à peine gros comme